Conseils aux débutants

Vous voilà donc arrivés à l’un de vos premiers rendez-vous de vènerie sous les frondaisons d’automne. Votre cœur bat comme lors d’un rendez-vous d’amour. C’est le moment de suivre le conseil d’un ancien.

CHEVAL

N’hésitez pas à choisir une monture légèrement au-dessus de vos capacités. Si vous savez garder l’air assuré alors que vous mourrez de peur, rien de tel pour susciter les commentaires flatteurs qui vous insuffleront le courage dont vous manquez. Le cheval, excité par le bruit et l’agitation du lancer, se lève sans vous flanquer par terre ? Bravo vous avez gagné ! Avec un peu de chance, l’énervement se traduira par un élégant col de cygne, à la limite de l’encapuchonnement, où seuls les mauvais esprits ou les vrais connaisseurs percevront que vous avez la main un peu lourde. Consolez-vous en pensant que vous ressemblez à un tableau de Géricault, qui peignit chevaux et cavaliers plus beaux que nature. Lors du choix de votre cheval, méfiez-vous des litotes ou périphrases souvent employées pour décrire son comportement : d’un cheval que rien ne peut arrêter, sauf peut-être l’installation de deux puissants winches de chaque côté du garrot, on dira volontiers "qu’il va bien" ou "qu’il aime marcher" ; d’un autre que la solitude rend fou, et qui grimpe aux arbres dès qu’il a perdu de vue ses congénères, on dira simplement "qu’il aime rester avec les autres". A l’inverse, prenez garde à l’excès de prudence qui vous ferait préférer un adepte des concours de lenteur : vous risquez de vous trouver encore à l’enceinte d’attaque pendant que l’on sable le champagne pour les beaux yeux de la charmante récipiendaire des honneurs à laquelle vous vous intéressiez…

MANIÈRES

Les ennuis commencent pour le baisemain. Deux factions rivales se disputent âprement le monde de la vènerie : celle qui en tient pour le baisemain en plein air, et celle qui prétend le confiner aux espaces clos et privés. La controverse fait rage. Vous choisirez une politique et vous vous y tiendrez. Rien n’est plus désobligeant que des variations ou des incertitudes où les plus susceptibles verront de subtils affronts. Le mieux est de suivre en cette matière, comme en toutes autres, l’exemple du Maître d’Équipage, qui ne peut, ni se tromper, ni vous tromper. Au rapport, ne vous infiltrez pas au premier rang pour figurer sur les photographies. Restez sagement derrière et ne prenez pas l’air entendu de celui qui, en réalité, n’y comprend rien. Conservez cette attitude modeste et déférente qui vous va si bien et qu’on aurait déjà remarquée avec approbation si elle n’impliquait une transparence qui vous rend littéralement invisible. Les manières à cheval sont d’une toute autre difficulté. Comme, conformément à mes recommandations, vous avez pris un cheval un peu trop chaud, vous enfreindrez malgré vous la règle qui vous impose de ne jamais dépasser un bouton ni, a fortiori, le Maitre d’Équipage. Dans cette épineuse circonstance, les garçons salueront tout membre en tenue et toutes les personnes du sexe féminin sans exception. Ils le feront même si ce geste, qui libère une rêne, leur fait perdre davantage le contrôle de leur monture. Une solution extrême, que je ne recommande que "cum grano salis", est alors non seulement de renoncer à toute action retardatrice, mais au contraire d’accélérer : de la sorte, par temps sec, cette scène pénible se trouvera abrégée au point que vous aurez quelque chance de ne pas être reconnu, et, par temps humide, les projections de boue aveugleront vos victimes et étoufferont leurs protestations en leur emplissant la bouche. Mais n’espérez pas être réinvité de sitôt. Vous vous garderez de tout commentaire sur le déroulement technique de la chasse. Vous n’y connaissez rien et vous vous éviterez ainsi le ridicule auquel n’échappent pas toujours les boutons les plus chevronnés. Souvenez-vous que la grande Nature réserve aux veneurs les meilleures de ses farces : rien ne ressemble plus au cerf d’attaque qu’un cerf de change. Rien de ressemble plus à un récri que l’écho d’un récri. Rien ne ressemble plus à une tête qui chasse mollement qu’une queue qui rallie avec peine. Quand aux volcelests, laissez çà aux spécialistes. Nous rions encore de traces de moutons prises par un invité pour un trafic de chevreuils !

Pour la trompe, dont le port par tout invité est subordonné à l’autorisation du Maître d’Équipage, la plus grande circonspection s’impose. Le plus sûr est de l’astiquer sans s’en servir, moyen habile de briller tout en évitant les fausses notes. Ne pas sonner au départ, sous peine de lever prématurément l’animal. Sonner le lancer est superflu : tout le monde est là sauf les nuls (N.B. Il n’y en a pas au Pique Avant Nivernais) et d’ailleurs votre cheval ne vous en laissera pas le loisir. La vue vous posera un crucifiant dilemme : si vous sonnez avant d’être sûr que les chiens arrivent sur la voie, vous risquez de sonner un change ; si vous attendez les chiens, vos efforts seront inutiles, vous êtes la mouche du coche. Ne vous amusez pas, pour faire chic, à sonner le blaireau, la laie ou la biche lorsque par malheur la meute s’y fourvoie ; vous sèmeriez la confusion chez ceux qui ne connaissent pas ces fanfares et peut-être aussi parmi les chiens. Le plus prudent pour un novice est donc de ne sonner qu’à la curée. Là le risque se limite à entonner les Adieux d’Arèze au lieu de la Forêt de Montargis, péché véniel qui vous sera vite pardonné.

TENUE

On n’est jamais trop élégant à cheval, et plus particulièrement à la chasse. D’aucuns auraient tendance à croire que la vènerie aurait eu son Vatican ll, et qu’on peut désormais venir à la chasse fagoté n’importe comment. Nous verrons bientôt des selles western, des vestes de cuir à franges, des chaps et des Stetson ; et pourquoi pas des blousons fluos coiffés d’un casque intégral ? Autant jouer Shakespeare en tenue d’égoutier et moderniser Bach en y ajoutant des partitions de sarussophone ! Le problème des novices est qu’il faut être élégant sans paraître flambant neuf. Les imaginations sont à l’ouvrage pour vieillir artificiellement ce qui vient d’être acheté chez Saillard ou Equistable. On dit que certains essaient pour les culottes blanches de les passer d’abord en machine avec un mélange de crottin et de brou de noix. Les toques peuvent être agréablement patinées en les livrant avant premier emploi aux jeux de football du petit frère. Quant aux gants, aucune difficulté, leur blancheur, grâce au tan des rênes et à la sueur des chevaux,
est tellement fugace qu’ils ont l’air d’être sales avant d’avoir été portés. Attention à la cravate. Pensez à assujettir les pans avec des épingles à nourrice, sans quoi, dès le premier galop un peu animé, vous ressemblerez à un papillon tropical ou à un avion des années 20. De façon générale, toute entorse à la règle incarnée par le Maître d’Équipage, seul arbitre incontestable des élégances, devra d’abord lui être soumise pour approbation, y compris le Barbour qu’il autorise parfois les jours de déluge, sans pour autant céder lui-même à cette facilité. Moyennant ces quelques précautions, que de joyeux taïauts et de poignants hallalis !

Bernard du Boucheron