82-83 : Mes Noces d’argent

Le premier septembre 1957 mes parents me demandent de faire un choix entre les études et le Pique-Avant Nivernais… Vous savez quel chemin j’ai décidé de prendre…

Cela fait 25 ans que je vis pour la chasse dans la même maison. J’ai eu, comme tout le monde quelques difficultés, mais j’ai vécu tellement de moments merveilleux, que je ne peux regretter ma décision.

La famille de Roüalle a tout mis en oeuvre pour que je réalise mon rêve.

La mère de notre Maître d’Equipage m’a procuré dès mon plus jeune âge tous les moyens d’accéder à cet art qu’est la chasse et de rentrer dans les secrets des chevaux, des chiens et de la forêt.

A cette époque la forêt d’Ermenonville était sauvage, uniquement peuplée de cerfs et de chevreuils.

Ah ces chevreuils !

Combien de fois les ai-je chassés avec "mes" chiens !

  • Baliveau, Bergerette, griffons batardés venant des Landes,
  • Furie fille d’un labrador du Baron de Wagner,
  • Dray, Ifée, Louvard, Neige, Jasmin, Jicky, Nonette, des fox à poils durs qui n’avaient peur de rien.

Pour accompagner ce joli petit monde, mon vieil lndien, un cheval alezan qui appartenait au défunt Marquis de la Begassiere, Bouton de l’Equipage, mais qui ne chassait que deux fois l’an. Tout le reste du temps il me prêtait son fidèle coursier.

Que de joie j’ai pu avoir avec ces compagnons !

Nous partions le matin aux aurores pour ne revenir que le soir au crépuscule, harassés de fatigue, mais le coeur rempli de satisfaction. "Le Rallye Valiérois", mon équipage de 11 chiens, dont le nom était dû au Chateau de Vallières, m’a permis d’élucider de nombreux problèmes que posent des animaux chassés.

Au cours de manifestations publiques, lorsque j’entends quelques veneurs, qui n’ont pour expérience que la tenue qu’ils portent depuis quelques saisons, dire : "Oh ! Berthier vous savez, à part les vaches qu’il chasse, il ne sait pas grand chose ! "… Je souris, cela m’amuse car aucune meute au monde ne pourra me donner autant que mes batards.

Voir après six heures de chasse une Furie ou un Baliveau les pieds en sang faire un retour, travailler un défaut de plusieurs heures et relancer leur animal de chasse sans l’aide de personne, cela nous oblige à respecter ces fidèles compagnons.

Savez-vous ce qu’est la fatigue avec en plus la lassitude ?

Lorsque cela fait plusieurs heures que vous vous acharnez à chasser un animal et que, las des difficultés qu’il vous a créées, vous vous asseyez à un carrefour au pied d’un chêne entouré de vos chiens, sans aucune autre présence ; vous vous prenez à leur parler, les regards qui vous supplient de leur expliquer le défaut… On réfléchit, on revit la chasse dans ses moindres détails et subitement on arrive à découvrir la faille. L’espoir renait, la fatigue est oubliée, on se remet debout, une tape amicale à ses complices et on repart là où on croit avoir laissé son animal.

On reprend le pied, on retrouve la voie. Tout à coup Jasmin se récrie, les autres rallient, une chèvre bondit … Tout le monde en veut !

Oui c’est bien notre animal de chasse.

Braves chiens, ils ne peuvent plus courir, mais ils veulent chasser et ils chassent.

Doucement ils continuent, se relayant, s’encourageant…

Le temps passe, le cheval bute, mais la voie se réchauffe. La chèvre a 9 heures de chasse.

Les chiens se sortent les tripes, ils veulent prendre, coupant les doubles, ils relancent à vue une fois, deux fois, un bêlement : c’est fini ; notre chèvre est prise après 9 h 3/4 de chasse, les chiens épuisés se couchent sur leur prise, moi je pleure de fatigue, de joie, j’ai 14 ans 1/2, je viens de forcer mon premier animal avec 11 batards, mes compagnons de joie et de peine.

L’animal forcé est chargé sur lndien, et je rentre à pied flattant mes valets.

La nuit est tombée depuis bien longtemps lorsque j’arrive à proximité des écuries, des lumières percent la nuit, on m’attend, pas pour me faire des compliments.

Je courbe le dos, qu’importe les reproches ! J’ai pris mon premier animal. Je soigne lndien, je fais curée avec mes chiens, je les couche, je leur parle, ils s’endorment… Je pars doucement pour ne pas déranger leurs rêves.

Mon estomac, vide depuis l‘aube, commence à souffrir. Un morceau de pain et je vais me coucher en essayant de ne pas déranger mes parents.

La pendule marque minuit et demi !

Cela fait seize heures que je suis parti.

Je me couche. Ai-je rêvé cette nuit là ?

Je ne le pense pas.

Une main brutale me réveille : il est quatre heures il faut se lever, les écuries sont déjà allumées.

Aujourd’hui le Pique Avant Nivernais découple en forêt de Chantilly.

Je suivrai la chasse à pied en écoutant Hubert appuyer ses chiens.

Une autre leçon m’est offerte !

Voila vingt cinq ans que je vis cette aventure merveilleuse, pleine de rebondissements, de nouveautés, d’imprévus…

Ai-je eu raison ou ai-je eu tort ?

Pierre BERTHIER,
Piqueur du Rallye Pique Avant Nivernais